Francesca / Heebra - 1920

Hyrule – 1927

Francesca était allongée lascivement sur le divan et regardait, les yeux à demi-fermés, les autres participants de la soirée s’agiter sur du Charleston en gloussant. C’était elle la plus belle, c’était évident. Sa robe bleu pâle était tellement décolletée qu’elle se félicita de ne pas avoir à respirer. Ses cheveux platine étaient coupés en un carré parfait, ceint par un bandeau de strass ornés de plumes. Le top de la mode et de l’élégance, bien entendu, faisaient d’elle le centre de l’attention.
Elle avait bu une dizaine de litres de sang ce soir-là et aurait pu rentrer chez elle savourer l’ivresse que cela lui procurait mais ce divan était bien trop confortable. Elle passa sa main dans les cheveux de son garde-manger, assis à ses pieds et la tête posée sur les cuisses à demi-découvertes de la Vampire.


Heebra avait plus d’une heure de retard, bien sûr. Il lui fallait une entrée exceptionnelle, digne de sa robe rouge sombre, taillée sur mesure dans une soie qui lui avait coûté les yeux de la tête ; le prix à payer pour que cette pimbêche blonde se roule par terre en pleurant.
Elle rajusta la pince en plume de faisan et de paon qui retenait les boucles de ses cheveux courts, jeta un regard approbateur au miroir du vestibule et poussa avec violence les deux portes ouvragés du salon.


Francesca ouvrit paresseusement un œil noisette. L’homme à ses genoux couina lorsque les ongles de la Vampire se crispèrent dans son cuir chevelu.
Cette morue d’Elfe, incapable d’être à l’heure, venait d’arriver et aussitôt la foule venait d’oublier la présence de la pauvre Francesca. La Vampire grogna et se redressa lentement de peur qu’un sein ne s’échappe de sa robe. Foutu couturier.
Elle traversa lentement la salle, les danseurs s’écartant sans s’en rendre compte sur son passage et s’arrêta devant Heebra, la toisa.
-Dragmire.
-Dorregaray.
Chacune retroussa ses lèvres rouge sang en un sourire, dévoilant discrètement ses crocs.


La suite de la soirée fut très confuse. Certes, il y avait eut ce jeu à boire stupide qui se joue avec une bouteille de gin vide. D’ailleurs ça n’était pas la seule qui fut vidée dans la soirée. Puis Francesca avait lancé un défi à base de vodka, qu’Heebra avait relevé avec un rire grinçant.
Autant dire qu’elles étaient rondes comme des queues de pelles.
Malgré cela, 80 ans après, Francesca ne s’expliquait toujours pas comment elle s’était retrouvée avec les mains d’Heebra glissées sous sa robe, les siennes se battant avec des boutonnières peu coopératives, en train de remonter le long couloir menant aux chambres d’amis. Sans avoir besoin d’air, elles réussirent à s’embrasser sauvagement et ce sans aucune interruption pendant plus d’un quart d’heure jusqu’à leur arrivée dans une des chambres où elles s’engouffrèrent pour se jeter sur le matelas.


Elles se réveillèrent seulement lorsque les premiers rayons du soleil virent frapper leurs paupières. Elles s’étirèrent et sentant qu’elles touchaient quelque chose de vaguement organique et froid, elles ouvrirent les yeux. Se virent. Hurlèrent.


Hyrule – 2009

Francesca rentra d’une soirée à l’aube, prit tout juste le temps de se laver et prépara sa tenue pour la journée : bas et jupe en soie, pull en cashmere, bottines hors de prix, manteau de laine et gants en cuir qui lui montaient jusqu’au coude. Puis finalement se ravisa, se déshabilla, choisit une autre tenue et ce pendant plus d’une heure pour finalement remettre son premier choix. Puis, elle prit son élégant petit béret dans son armoire et l’ajusta sur ses boucles blondes pendant plusieurs heures encore.
C’était un des avantages à la condition de Vampire : elle pouvait passer une journée entière à choisir la couleur de ses collants pour ensuite passer la nuit dehors et recommencer le cycle infiniment.
Francesca était née à Morpork en plein 17ème siècle où un seul mot comptait : mode, tendance, élégance. Lorsqu’elle s’était fait mordre, alors qu’elle n’avait même pas 20 ans, l’idée lui était restée dans la tête ; cumulée avec l’attraction maladive des Vampires pour tout ce qui brillait, elle avait vite trouvé sa vocation : poule de luxe. Elle se retrouvait souvent dans une soirée bruyante, bondée et huppée, au bras d’un riche en manque d’affection et se faisait payer grassement et, dans le cas où le riche en question s’entichait d’elle, recevait des cadeaux clinquants. Certes, elle avait dû jongler avec le temps et éviter d’être sur des clichés, faire des pauses de 10 ans, le temps de se faire oublier…
Après avoir mis fin à sa carrière dans les années 70, elle était partie se terrer dans les égouts désaffectés et c’est lorsqu’elle trouva dans une canalisation un magazine avec Heebra Dragmire en couverture qu’elle vit rouge, sortit de sa cachette et dilapida son argent et retrouva sa place dans la haute-société en quelques semaines.
Et attendit son heure.