La Tour de Verre

An 516 – Lac Hylia


Lorsque Merwyn arriva, l’odeur de chaire brûlée était nauséabonde. Les ruines de la maison fumaient encore, tout comme les deux corps calcinés, mais l’Archange ne leur accorda pas un regard. Il se dirigea droit vers le Lac paisible, soulevant des cendres sur son passage. Ses yeux turquoise sondèrent l’eau sombre un moment puis, lentement, il leva la main au dessus de l’eau et celle-ci se mit à bouillir tandis qu’un corps remontait à la surface et vint léviter jusque dans les bras de Merwyn.
C’était une jeune fille d’à peine seize ans et ses cheveux noirs mouillés collaient à son visage. Elle avait une plaie béante à la poitrine.
L’Archange jeta un dernier regard aux alentours et s’évapora avec le corps.


Merwyn réapparut sur les bords du fleuve qui servait de frontière avec Ankh. Là, les mages l’attendaient. Ils étaient cinq, dont deux Humains facilement identifiables à leurs oreilles courtes et rondes. Merwyn déposa le corps sur la civière qu’ils avaient apportée. Le vieil Humain avec des cheveux gris striés de mauve fit un pas vers l’Archange.

-C’est un honneur que vous nous faites, Merwyn.

Un Elfe en toge bleue, Wared, le bouscula légèrement pour prendre à son tour la parole.

-Laisse les Elfes s’en charger Marel, c’est notre Université qui mène le projet, Wared prit alors un ton mielleux pour s’adresser à Merwyn. Avez-vous apporté les précédents travaux, Archange ?
-Les Souvenirs et le Tissage sont dans la sacoche avec elle. N’oubliez pas que je ne veux pas qu’elle mette un pied en Hyrule avant la fin de l’étude. Il ne faut pas que ses Ailes sortent. En échange je ne demande que des comptes-rendus réguliers.

Le groupe de mage grommela, contrariés de la charge de travail supplémentaire qui s’annonçait. Merwyn leur fit un vague salut avant de disparaître. Les mages transportèrent la civière de l’autre côté du pont et se téléportèrent avec pour l’Université.


Rapport de Morgause, médium de Morpork:
En tant que seule femme du groupe, ai été chargée d’examiner le corps.
La blessure mortelle est déjà refermée mais il restera sûrement une cicatrice. A étudier.
Après examen, il s’avère que la jeune fille, malgré son âge présumé, n’est pas fertile. Probable malformation. Vérification mensuelle mise en place. Bonne dentition, excellente santé post-mortem.
Ai tenté d’identifier son clan. Les Souvenirs la montrent déjà pâle avant le décès, cheveux parfaitement noirs et yeux clairs avec pupille à peine ovale. Héritage clair des Hauts-Elfes mais présence de crocs. Etudier la réaction de son sang à celui des Drows.

Rapport de Ce’Lor, guérisseur d’Ankh:
Le sang coagulé de la patiente commence à se liquéfier progressivement mais reste sombre. La patiente prend parfois sa respiration mais cela semble plus à un automatisme, l’oxygène circule dans le sang avant d’être expulser du corps. Analyse en cours.

Rapport de Marel, pyromancien de Morpork:
Jeune fille présentant une grande sensibilité à la magie élémentaire, sauf au feu avec lequel elle n’a aucune affinité. Impossibilité de tester ses pouvoirs psychiques tant qu’elle ne donne signe de conscience.


Il y avait des gens autour d’elle, plusieurs hommes et une femme âgées. Ils se disputaient dans une langue inconnue et quand elle ouvrit les yeux et se redressa sur ses coudes, ils se figèrent, ébahis. Elle se concentra et réussit à articuler péniblement.

-Nè sclyma wal ?

Ils se regardèrent tous silencieusement jusqu’à ce que l’un deux toussote.

-L’un de vous parle-t-il hylien ?


An 1520 – Tour de Verre, Ankh


-Le Roi Winyar vous envoie ses hommages et regrette de ne pas pouvoir venir en personne pour…
-Ils regrettent tous de ne pas venir, étonnant non ?

Marel reposa le parchemin sur le bureau et leva les yeux vers la jeune femme nonchalamment allongée sur la banquette. La traine de sa robe de soie violette frôlait le sol ainsi que sa main blanche qu’elle laissait pendre de la couche. Le vieux mage soupira.

-Hynesbra, ne fais pas ta mauvaise tête. Je sais que tu t’ennuies mais… C’est… Une très jolie tour.

Magnifique était un mot faible. Les quartiers de la jeune femme occupaient trois des étages où chaque mur était de verre entièrement ciselé d’arabesque. Chaque matin les rayons qui filtraient envoyaient des reflets pastel dans toutes les pièces. Le sol ainsi que les meubles étaient du verre opaque où l’on avait disposé des tapis, des coussins dans les tissus les plus précieux.
Hynesbra tourna vers le mage ses grands yeux, furieuse. Mais pas assez pour tenter de se lever de ses coussins. Marel se racla la gorge et murmura.

-J’ai la formule.

Aussitôt elle se redressa et se précipita vers le bureau. Des mèches s’échappèrent de son chignon qu’elle n’arrivait jamais à faire tenir. Dans un état d’énervement total, elle attrapa les mains de son mentor et les serra convulsivement.

-Donne-la-moi… Marel… Je t’en prie.
-Et ensuite, Hynes’, hein ? Qu’est-ce que tu feras ? Je te signale que tu es au dessus des nuages.
-Le… L’évaporation. Je peux réussir ce soir… Ou demain !
-Zeltan a dit que tu t’étais plantée à cet exercice. Morgause précise que tu es nulle en métamorphose.
-Je peux Marel. Je dois le faire. Je deviens totalement folle.
-Vu que tes ongles se sont plantés dans mes poignets, je le devine. Je devine aussi que je ne pourrais pas t’en empêcher. Le parchemin est dans ma sacoche.

Fébrilement, Hynesbra le sortit et le déroula. A l’aide de sa canne, Marel se redressa, se dirigea vers la jeune femme et lui pressa doucement l’épaule en signe d’adieu. Il sortit.


La nuit était tombée. Hynesbra se tenait au milieu de la pièce, dans un cercle de protection. Elle lisait le parchemin relativement calmement, tandis que lentement, autour d’elle, une tempête se levait dans sa chambre. Les éclairs magiques parcourraient le verre et commençaient à le fendre.
Elle n’avait plus beaucoup de temps. Elle divisa son énergie, en projeta une moitié sur les parois et utilisa l’autre sur son corps. Au moment où le maelström emporta les tessons multicolores de trois étages de la tour, l’Elfe avait disparu.
Le lendemain, Marel le Mauve fut condamné à la peine capitale.