Le chant des sirènes - Atria/Merwyn [Fini]

Il fait frais et le médecin a l'habitude, ce n'est jamais agréable pour les patientes de se retrouver nues et vulnérables. Même quand il a couché avec elles avant.

Il se retourne, un plateau avec pansements et fioles dans les mains et voit alors son Capitaine, hilare.

- Atria... ? Je... Il m'a... mal parlé... Euh...

Il est limite prêt à se flageller tout seul.

- Il lui faut cinq bonne minutes pour pouvoir se redresser, l'hilarité l'ayant saisi jusqu'à ce qu'elle se plie en deux. Merwyn n'a certainement jamais vu son Capitaine aussi joviale. C'est à peine s'il a droit à un sourire, la plupart du temps !

Néanmoins, une fois le fou-rire passé et sa contenance reprise, elle retrouve son regard dur. Elle imagine déjà la réunion qu'elle va devoir organiser sur le pont avec l'équipage pour calmer le jeu. -


Tu ne pouvais pas attendre un peu, avant de lui balancer ton poing dans la figure ? Qu'est-ce qui t'a pris ? Il n'allait pas me faire de mal. Et en plus, tu méritais qu'il te parle comme ça. Tu as désobéi. Encore.


- Elle soupire, grattant pensivement sa jambe. Là où quelques heures auparavant, elles ne formaient plus qu'une, ses jambes sont encore ornées de petites escarres sombres. Les stigmates des écailles qui disparaissent peu à peu mais sont encore bien présentes. -

- Il... Il...

Il attrape le bras de la pirate, un peu sèchement. Il désinfecte ses plaies encroûtées par le sable et l'eau de mer.

- Il allait t'éloigner de moi.

Il finit de désinfecter une première coupure.

- Ca te fait mal ? Tes jambes ?

Non, non ... Je n'ai pas mal aux jambes.


- Ses gestes brusques l'ont fait sursauter et échappé un cri de douleur. Aussi n'a-t-elle pas immédiatement saisi sa première phrase. Cependant, quand enfin cette dernière lui parvient jusqu'aux méandres tortueux de son cerveau, elle lève le regard vers lui, l'air réellement surprise. -


M'éloigner de ... Mais enfin, Merwyn, ce sont juste des coupures ! Je n'allais pas en mourir !


- Elle semble ne pas avoir compris le sous-entendu. Ou ne pas avoir voulu le comprendre. -

- Atria, je pense que grandir dans un équipage d'homme t'a supprimé le formidable don que les femmes ont pour les sous-entendus.

Il soupire et continue ses soins, plus doucement.

- Je ne supporte pas David et il ne me supporte pas parce que je te veux. Et qu'il t'a. Et ça m'énerve.

- Les blessures sont effectivement superficielles, mais ce doit tout de même être un excellent prétexte pour éviter au Chirurgien d'avoir à regarder sa Patronne dans les yeux. Des yeux que ceux d'Atria cherchent, incrédules. -


Il veut te ... Parce qu'il ... Mais enfin, de quoi tu parles ?!


- Grandir en mer peut avoir quelques inconvénients. Pour une femme, l'absence d'instinct sentimental en fait partie, il semblerait. -

- A ton avis, il joue le rôle de ton petit chien-chien purement par devoir ? Atria, ouvre les yeux. Il ne supporte pas qu'on t'approche. Si il apprend qu'on a couché ensemble, il me tue. Je ne blague pas.

Il finit alors les bandages. Et se retrouve obliger de lever ses yeux bleus vers sa Capitaine.

- Elle accroche son regard et dégage ses bras de son contact, vivement. Il l'a piqué un vif, il peut le voir rien qu'au plissement de ses yeux. -


Comment oses-tu dire une chose pareille ? Comment peux-tu ne serait-ce que ... Penser ce genre de ... Conneries ?!


- Il est encore debout devant elle, assise et bordée dans son drap blanc. Deux mains repoussent le torse musculeux du Marin, en même temps qu'Atria se lève. -


David sait parfaitement ce qui s'est passé entre nous, d'accord ? Et il s'en tape, en plus de ça. Il veille seulement à mes intérêts. C'est ton comportement nonchalant et rebelle qui le pousse à se comporter comme ça envers toi ! Pas le fait que tu m'aies vu à poil !


- Elle se met à fouiller dans la cabine, cherchant quelques vêtements à se passer sur le dos pour pouvoir sortir d'ici le plus vite et le plus dignement possible.

Alors qu'elle met la main sur une vieille chemise à la propreté douteuse, elle l'interroge, toujours haineuse, lui tournant le dos : -


Et de toute façon, même si tu avais raison, qu'est-ce que ça peut bien te faire ? Hein ? Dis-moi monsieur " je-ne-couche-plus-avec-la-capitaine " ?!

Il lève les yeux au ciel.

- Et maintenant, tu es vexée parce que je n'ai pas passé la nuit avec toi ? Tu trouves ça si étonnant qu'après notre discussion, je le prenne assez mal que tu fasses ton numéro de cabaret devant moi ?

Il se pince l'arrête du nez et se laisse tomber sur une chaise.

- Je ne suis pas un jouet, Atria, comme tu as l'air de le penser. Je suis sincère avec toi, moi. Je me fiche de savoir ce qui s'est passé dans cette cascade, pourquoi on a une... une femme à la cave.

Merwyn ne tient finalement pas et se relève.

- Alors voilà, Atria. Moi, je suis amoureux de toi. C'est comme ça. Et si il avait fallu plonger dans la rivière pour aller te chercher, j'aurais encore désobéi et je l'aurais fait. Voilà. Quelque chose à dire contre ça, peut-être ?

- Ses mains continuent de fouiller frénétiquement dans la malle. C'est à peine si elle avait l'intention d'écouter sa réponse. Car après tout, que pouvait-il lui apprendre de plus ? Lui marteler qu'elle était sa supérieure et qu'il était de son devoir de s'assurer, en tant que membre de l'équipage, que nul n'essaierait de profiter d'elle ? Lui lister les défauts de son Quartier-Maître pour faire valoir son point de vue ?

La discussion houleuse qui s'en serait suivie la fatiguait d'avance.
Pourquoi s'évertuait-elle à garder ce type à bord de son bâtiment ? Se demanda-t-elle, d'autant plus lorsqu'il reprit la parole. Elle passait la chemise et le pantalon crasseux, toujours tournée vers le mur. -


Vexée ? Et puis quoi encore ?! Un numéro de cabaret ? Allons ! Si ne peut même plus s'amuser un p...


- Elle s'interrompit brusquement. Il n'avait pas terminé et ce qu'il énonça par la suite lui coupa littéralement le sifflet.

Lentement, Atria se tourna vers lui. Plus il parlait, plus elle sentait une immense vague de confusion l'envahir.
Elle s'attendait à tout. Sauf à ça. Prononcé avec tant de lassitude et de sincérité. Elle ne savait comment réagir. Un long silence s'installa tandis qu'elle le fixait, inexpressive.

Enfin, après un long moment, elle se décida à ouvrir la bouche. -


Merwyn, je ... Quoi ?


- Deux coups brusques donnés à la porte l'avaient interrompu. Agacée, elle alla ouvrir. Un matelot se tenait devant elle, essoufflé et l'air effrayé. -


" Capitaine ... " - Son regard alla alternativement du Chirurgien à la jeune femme et il comprit qu'il arrivait au mauvaise moment. - " Je ... Pardon ... De vous déranger. Mais, il faut le Doc' et vous à la cale. La femme, y a un problème. "


- D'abord déconcertée, il ne fallut pas longtemps à la Belle pour retrouver ses esprits. Et après avoir fait signe, mécaniquement, au Docteur de la suivre, elle fila vers les tréfonds du navire. -

Il a un soupir déçu en attendant les coups à la porte. Mais bon, il ne s'attendait pas à une réponse d'Atria de toute façon... Si l'interruption peut lui laisser le temps de réfléchir avant de bafouiller une réponse...

Le médecin attrape sa trousse et suis les deux pirates, sans rien dire.

- L'humidité suinte par toutes lattes de bois, étouffante. Le marin ouvre la marche, une lampe à huile au bout du bras, seule lueur dans toute cette crasse obscurité.

Enfin, ils arrivent aux portes de la geôle. Leur accompagnateur tend la lampe à sa Capitaine. Dès qu'elle s'en est saisie, il recule d'un pas, sa mine apeurée ne l'ayant pas quitté. -


" Elle saigne mais personne veut entrer là-dedans ... "


- S'incluant dans le " personne ", bien entendu. La rumeur sur la nature de la femme qui habite les méandres de leur navire a eu le temps de se propager parmi l'équipage. Sans compter que durant son transfert, celle-ci a du tenter d'en émasculer un certain nombre.
Pour toute réponse, Atria lève les yeux au ciel.

Un tour de clef plus tard, Merwyn et elle ont franchi les grilles et ont pénétré dans la cellule. A priori, l'obscurité la fait paraître vide. Pourtant, la jeune femme s'approche sans hésitation de l'un des murs. Là, dans le fond, se tient une silhouette de forme humaine, complètement nue, bras et chevilles enchaînés à une poutre. Une longue et profonde plaie suinte de son bras gauche, une autre sur sa jambe droite.

Elle s'accroupit devant elle, avec autant d'assurance. Pourtant, tandis qu'elle approche sa main de la plaie du membre supérieure, la créature relève la tête, révélant deux pupilles rouge sang et des lèvres retroussées sur deux crocs proéminents et menaçants, prêts à mordre.
La jeune femme n'a même pas un mouvement de recul. Au lieu de ça, elle referme ses doigts sur la blessure, serrant avec vigueur. -


Si tu ne veux pas crever au fond de cette cale, je te conseille de te montrer extrêmement coopérative. Et d'autant plus gentille avec le bon docteur ici présent.


- Elle raffermit sa prise, arrachant un cri de douleur typiquement humain à la créature. Grâce aux lueurs de la lampe, Merwyn peut apercevoir le visage tourné de profil de son Capitaine, de même le coin de sa bouche relevé en un sourire. Cruel.

Les prunelles des deux femmes se croisent. Celles de la Sirène semblent avoir une sorte de révélation. Dès lors, elle ne fait plus un geste. -


Ce fut un plaisir de te revoir. Maman.


- Sur ces mots, elle se redresse pour s'adresser au Chirurgien. -


Fais le nécessaire pour qu'elle survive. On a besoin d'elle. Et viens me trouver dans ma cabine, en personne, pour m'exposer la situation.


- Quelques secondes plus tard, ses pas résonnent dans le couloir, remontant vers le pont. -

Interdit, Merwyn ne regarde même pas son capitaine le dépasser pour sortir de la cellule. Il ne peut que regarder la femme nue et tremblante, enchaînée.

Il ne sait pas pourquoi mais il se sent... coupable.
Il ne sait pas ce qu'on va faire d'elle. La vendre ? L'échanger ? Pire... ? Tout ce qu'il peut faire pour l'instant, c'est son devoir.
Il pose sa sacoche près de la sirène et déballe le matériel dont il va avoir besoin. La sirène lui tend alors son bras blessé et il commence son travail.

Elle grimace, serre les dents... Mais elle reste digne. C'est peut-être ça qui impressionne le plus le docteur : même nue, sale, sanglante... Elle reste royale.

- La culpabilité. Ce sentiment outrageux que cette chère Atria ressentait depuis tant d'années, pour de nombreuses raisons. Certainement injustifiées.

Elle en avait presque fait une règle de vie, une ligne de conduite pour atteindre le but qu'elle s'était fixée : récupérer le Calypso. Laver l'honneur de son père.

Pourtant, ce soir-là, tandis qu'elle remontait des bas-fonds pour rejoindre le pont, ce ne fut pas de la culpabilité qu'elle ressentit. Bien que ce fut tout aussi honteux, elle se sentait envahie d'une sensation de victoire. Ils avaient réussi à avoir une Sirène. Et pas n'importe laquelle. Cylia. Un heureux hasard qui la ravissait.

Car quoi de mieux pour palier à ses démons que de s'en venger ?

Mais ça, bien sûr, Merwyn ne pouvait pas le savoir. Tandis que la créature se laissait faire, Atria imaginait toutes les questions qui devaient l'assaillir en pensées. Il devait commencer à réaliser les événements de la soirée. Il avait été témoin de la partie d'elle sinon la plus dangereuse, la plus embarrassante. Il l'avait ramené au bateau et avait pansé ses plaies.

Il lui avait dit qu'il l'aimait et elle n'avait pu répliquer puisqu'ils avaient été interrompus.

Puis, froidement, elle lui avait ordonné de s'occuper de ce pourquoi plusieurs membres d'équipage s'étaient sacrifiés.

Tandis que la Capitaine rejoignait sa cabine, croisant les regards craintifs et nerveux de ses moussaillons, elle oublia momentanément Cylia en réalisant elle-même tout ceci.

Une fois à l'intérieur, elle se défit de ses vêtements d'emprunt pour en passer d'autres, à l'odeur plus agréable et à la coupe plus seyante.

Enfin, elle alla se placer devant la grande fenêtre à carreaux entrecoupés de lattes de bois qui lui donnait une vue imprenable sur l'océan. Ses traits se froissèrent. Le goût de sa satisfaction prenait une teinte amère. De terribles pensées l'assaillaient à son tour, alors que le pire était à venir.

Le Chirurgien allait bientôt la rejoindre et quoi qu'il en soit, ils devraient parler. Elle lui devait de nombreuses explications. -